[ Hayleen Jones ]

Une gamine.

Avec dédain, avec pitié peut-être, avec ce sentiment de supériorité, vous la remettrez à sa place. Vous la trouverez d’une faiblesse et d’une impuissance pitoyable.

Retourne chez toi.

Sympathique, oui. De la fluidité, de la douceur, de la délicatesse. Elle semble tellement fragile. Peu de force, aucune d’agressivité. En réalité, vous pourriez certainement la maîtriser d’une seule main, l’autre dans la poche, en fumant une clope avec toute la tranquillité du monde… si seulement vous pourriez l’approcher. La toucher. L’atteindre. Non. Le moindre mouvement esquissé vers notre demoiselle, et elle s’efface. Se dérobe. Coule entre vos doigts telle l’eau. Insaisissable. Votre force ne lui fait pas peur. Elle sait que c’est elle qui a le contrôle. Que c’est elle qui dirige. Et son principal atout consiste à vous faire croire que c'est vous qui l'avez, ce pouvoir…

Ses yeux sont d’un bleu qui n’a rien à envier aux eaux tropicales. Et c’est cette teinte qui vous accapare, vous empêchant de remarquer avec quelle profondeur ils vous scrutent, cherchant en vous les moindres détails qui lui permettent d’établir votre profil du premier coup d’œil. Toujours à l’affut, comme un animal sans cesse traqué, chassé, blessé, en danger. Son regard semble se promener sur les environs, alors qu’elle analyse, notifie et interprète tout ce qui est possible de voir et de ne pas voir. Elle pourra se souvenir aisément de détails futiles qu'elle aura vu il y a plusieurs semaines.

Vous la voyez marcher, tranquillement. Vous êtes un être humain normal. Alors, vous en désintéressez bien vite. Comme tout le monde. Pourtant, personne ne perçoit cette tension. Un peu crispée, légèrement sur la défensive au naturel, elle est préparée à toute éventualité sans même y songer. Mais, adressez lui la parole, et vous découvrirez une autre facette de notre demoiselle. Très fière dans ses mots, elle est une parfaite représentation de l’assurance. Ses propos sont toujours teintés d’une touche d’ironie ou d’orgueil.

La colère la prend rarement, et elle n’en fait pas spectacle aux gens, mais lorsque cela lui arrive, vous ne pouvez que regretter de l’avoir provoqué. Une aura insidieuse que tous peuvent sentir tant elle semble palpable, tangible, frôlant les êtres et les sens sans distinction, avec la perfidie d’un serpent qui attend le bon moment pour répandre son venin. Glaciale, ses mots peuvent être des piques qui s'enfoncent là où cela vous fera le plus mal. On enfonce le couteau, on le tourne, on le retourne, et on s'en va, laissant la plaie à vif. Elle n'est pas dénuée de caractère.

Vous ne pouvez, en sa compagnie, parler de choses sérieuses bien longtemps. Surtout si vous ne la connaissez pas. Elle laisse de coté les sujets philosophiques et scientifiques qui ne l'intéressent pas le moins du monde. Et quand bien même ce serait le cas, l'élite des gens avec qui elle en parle est très restreinte. Ceux qui partagent son point de vue. Politiquement parlant. En attendant, vous risquez fort de devoir discourir sur la sexualité des pandas ou sur la colique d'un cheval du cirque. Les sujets peuvent varier de façon assez surprenante, et vous serez assez étonné de voir avec quelle aisance elle oriente la conversation selon son bon désir. À moins que vous ne le remarquiez pas, trop occupés que vous êtes à vous égarer sur son regard amusé, ses lèvres souriantes, ses mains qui s'envolent et virevoltent dans les airs pour accompagner ses mots.

Piège.

C’est ici que tout a commencé. La funambule qu’il avait recruté lui avait bien plu. Elle était mignonne, un peu petite, mais ses yeux était d’une grande beauté. Ca, et sa chevelure d’ange. Elle était superbe, lorsqu’elle faisait son numéro sur sa corde, en haut. Elle avait une aisance qui lui était propre, on avait réellement l’impression qu’elle marchait sur la terre ferme. Pleine de vie, elle faisait rire son entourage comme personne, et savait remonter le moral des plus faibles. Elle ne semblait avoir aucune faille.

Quand le Directeur du cirque confia à ses amis son amour pour elle, personne n’y cru. Ils se moquèrent tous, en disant qu’elle ne l’accepterait jamais, elle, l’oiseau délicat, alors que lui était plus semblable à un cochon extravagant. Personne ne compris pourquoi la belle se laissa courtiser, et fini par l’aimer à son tour, ce gros homme qui parlait trop fort, et n’avait d’intérêt que pour ses animaux. Il l’aima à la folie. Personne ne vit l’indifférence dans le regard de la jeune femme, non. Tout le monde y voyait une magnifique histoire d’amour.

Elle tomba enceinte. L’enfant s’avéra vite être une fille. Lui était au comble du bonheur. Elle n’y croyait pas. Lorsqu’elle accoucha, neuf mois plus tard, elle fut tant émue qu’elle en pleura. Deux jours plus tard, elle laissa une lettre au Directeur du cirque, celui qui l’avait aimé et surtout, celui grâce à qui elle avait conçu un enfant. Elle expliquait qu’elle était heureuse de laissait une trace dans ce monde. Et elle disparu. On retrouva son corps frère dans une rivière. Elle ne savait pas alors nager.

Naturellement, ce fut ce qu’elle apprit en premier : Elle était toute jeune, et savait à peine marcher, que se mouvoir sur une corde était pour elle parfaitement naturel. Elle ne concevait pas qu’on ne puisse pas le faire, c’était si simple pour elle… À l’âge de cinq ans, son numéro fit son apparition. Elle n’était guère qu’à deux mètres du sol, mais, son jeune âge aidant, le public était impressionné.

La suite se fit tout aussi naturellement. Elle s’était parfaitement intégrée, et était tout aussi aimée du personnel et des autres artistes. Elle logeait dans la maison de son père. Celui-ci avait tout d’abord tenté de la détester, si elle n’était pas née, peut-être sa mère ne se serait t’elle pas tuée. Mais elle était sa fille, et elle lui ressemblait tellement qu’il était impossible de lui en vouloir. D’autant plus qu’elle était très utile pour le cirque. À l’âge de huit ans, on l’avait initié au trapèze volant, devenu sa discipline préférée, et elle s’était attachée aux fauves, dont elle s’occupait tous les jours.

Mais nous n’allons pas vous raconter sa vie qui, quoiqu’intéressante, se déroule dès lors de façon très… Normale. Lorsqu’elle eu 16 ans, son père décéda. Elle qui n’avait cessé de grandir et d’affermir son statut d’artiste et de fille du Directeur décida d’en reprendre la direction. Personne ne s’y opposa, et elle devint la Directrice du Cirque. Malgré son âge, encore adolescente, on lui faisait entièrement confiance. Elle était rigoureuse et douée, et elle réglait les problèmes vite, et bien. Jamais le cirque ne connu plus de spectateurs qu’en ces dernières années. Peut-être aussi parce que ce régime ne plaisait pas, était éprouvant, qui sait…

Des chevaux qui se donnent en spectacle, des clowns qui se moquent du commun des mortels, des trapézistes qui semblent défier les lois de la gravité, ces fauves qui bravent le feu et se promènent dans le public, cette funambule qui danse et virevolte,… L’enivrement du cirque rendait aux gens le bonheur de l’enfance. Et d’une vie qu’ils avaient sûrement oubliée. Et ça, c’est qui faisait vivre Hayleen.

Sa vie prit un véritable virage lors de la tempête solaire de 2011. Elle n’a rien comprit de ce qui se passait ni même de pourquoi, parce qu’elle ne cherchait pas d’explications plausibles. Comment faisait t’elle pour déplacer ces objets, elle n’en savait rien. Et cela resta secret. Durant un mois, elle confia le cirque à une personne de confiance, et disparu. Nul ne sait où elle se rendit. Nul ne sait qu’elle partit à Agram Fold. Et qu’elle en revint. Changée. Encore plus déterminée. Elle avait décidé de rester dans la métropole. S’exiler n’était, selon elle, pas la bonne solution. Sous couvert de diriger son cirque, elle s’insérait dans les affaires sans que personne ne se doute de rien. Son apparence angélique de funambule aidait bien. Car elle n’était rien d’autre que cela.

Une funambule. Une trapéziste. La Reine d’un monde superficiel.

À leur yeux, seulement.