En Mauvaise posture [PV Zachary]

Le désert, lieu où toute créature, qu’elle soit humaine ou bestiale, retrouve ses instincts les plus primitifs. Rain ne savait si elle devait se classer dans la première ou la deuxième catégorie, mais elle connaissait les mêmes effets. Depuis les cinq cent vingt-trois jours et dix-huit heures de sa fuite de la Métropole, elle avait dû s’abaisser à de basses besognes et procédés pour survivre. Enfin… d’un côté, tout ce qu’elle avait fait lorsqu’elle y était, à ce soi-disant dernier bastion de la technologie humaine, était parfois pire.

Elle était sortie en début de soirée, afin de partir à la recherche de nourriture. Même si son corps était composé pour la plupart de métal et d’écrous, elle ne pouvait échapper à satisfaire ses besoins physiologiques. Les concepteurs auraient au moins pu penser à une poche pour stocker de la nourriture, comme pour ces Rodrins, affreuses petites bêtes à la poche ventrale. Et aussi à un système de collecteur d’eau. Vraiment pas l’esprit pratique, ces petits bureaucrates et scientifiques. Elle irait bien en chercher un et l’obliger à passer plusieurs semaines dans le désert, juste pour qu’il se rende compte de la réalité des choses.

Rain se tapit à l’arrière d’une dune. Elle avait vaguement entendu des bruits de course sur le sable, avec un grognement tout aussi remarquable. L’hybride loua son ouïe fine à la vue d’une petite meute de trois Ordons. Si elle était restée sur le chemin, elle aurait dû faire face à ces créatures impitoyables et, malgré les capacités dont elle était dotée, elle doutait de sortir même vivante de l’affrontement. Elle crut avoir évité le pire, les voyant s’éloigner lentement, mais sûrement. Lorsqu’ils furent assez loin, Rain se releva et prit la route opposée, marchant sur le sommet de la dune. Mauvaise idée…

Son pied glissa en manquant la suite du chemin et l’entraîna dans une chute rocambolesque jusque tout en bas. L’atterrissage fut tout aussi, voire même plus, dur que la dégringolade. Malgré son alliage sous-cutanée, Rain ne se releva qu’après de longues secondes, la vision brouillée par des larmes de douleur et la tête dansant la farandole sans lui demander son avis. Elle se serait bien assise, ne serait-ce que quelques minutes, pour se remettre du choc, mais la vision de six yeux violets luisant dans la nuit.

Son cœur rata un battement. Les grognements, jusqu’alors presque inaudibles, s’intensifièrent. Le pelage roux des trois Ordons s’hérissait déjà et leurs pattes foulaient le sable, diminuant avec une abominable lenteur de prédateurs la distance entre eux et Rain. Si elle n’avait pas été dans le rôle de la proie, Rain aurait admiré leur stratégie impeccable pour ne laisser aucune chance à leur victime. Enfin… elle étira un sourire. Enfin, une victime humaine ou une simple bête. Mais comme toujours, Rain savait qu’elle n’était ni l’un ni l’autre.

Elle bondit sur ses deux jambes et, avec une grimace mi-amusée mi-douloureuse, elle prit le risque de tourner le dos aux chiens des sables et remonta du plus vite qu’elle put la dune. La montée fut beaucoup plus longue que la descente. Mais elle était des plus motivées avec le bruit des halètements et des jappements des chiens qui la poursuivaient.

Mais malgré la vitesse dont l’hybride faisait preuve, un ordon s’élança vers elle et l’attrapa au bras. Rain poussa un glapissement des moins harmonieux (il faut dire qu’on pense rarement à être élégant quand on est poursuivi par des bêtes ivres de sang…) lorsque les dents du monstre mordirent sa chair. Elle fut à peine ralentie, car la bête ne tint pas bon et relâcha sa prise assez rapidement.

Peut-être découragé par la défaite seule d’un de leurs camarades, ou bien tout simplement par la rapidité de leur proie, les ordons abandonnèrent la poursuite après trois kilomètres de course dans le désert. Quand Rain s’arrêta, le soleil commençait doucement à pointer le bout de son nez. La femme contempla sa blessure. Sa peau avait été lacérée et elle s’ouvrit pour laisser apparaître à la vu et au su de tous les muscles synthétiques de Rain, trahissant sa condition et son héritage robotique. Rain déchira sa jupe –entre court et encore plus court, elle ne voyait pas la différence de toute façon- et fit un bandage de fortune. Elle ne supportait pas de savoir que quelqu’un puisse découvrir sa nature. Le tissu ne faisait que recouvrir la blessure, mais au moins, elle cachait les détails gênants.

Rain se leva. À la lumière du soleil, on pouvait voir sa tenue des plus déshabillées : une simple jupe qui semblait raccourcir jour après jour et un simple haut sans manches. Elle complétait cette panoplie par un foulard qui lui permettait de couvrir sa bouche lors des tempêtes (elle ne touchait jamais à ce foulard, car il lui avait été donné par Loyd qui lui-même le tenait de son ami du désert). Elle avait récemment coupé ses cheveux noirs de jais qui pointaient dans tous les sens sans logique apparente. Leur couleur noir rehaussait les yeux oranges de Rain, comme un éclat de lumière dans les ténèbres. Malgré son allure, Rain avait tout de même l’air d’une vagabonde, mais qui n’en avait pas l’air dans ce désert ?

Vu l’heure, elle ne trouverait pas de gibier et la faim commençait doucement à se faire ressentir. Pourquoi ne pas aller à Agni ? Après tout la ville ne se situait pas loin et puis elle en profiterait pour trouver de quoi se soigner.

Elle se mit en route immédiatement. Le soleil était haut dans le ciel quand la femme-robot dépassa la cascade de sable et pénétrait dans les couloirs froids et plutôt sombres d’Agni. Louant l’intelligence du concepteur de la ville, elle se dirigea vers les étages supérieurs et leurs boutiques bénies. Flânant parmi les gens entre les échoppes, elle repéra bien vite une espèce d’apothicaire. Après divers marchandages, qu’elle ne tourna en sa faveur que grâce à ses silences récalcitrants, elle obtint des compresses et une crème désinfectante que pour deux perles de son bracelet qu’elle céda sans regret.

— Dis donc, ma p’tite dame… Vous semblez bien amoché, là… fit le marchand en désignant son bandage transperçant déjà sous son sang robotique.
— … Pourquoi ai-je acheté ces choses, à votre avis ? lui répondit Rain d’une voix plutôt sèche et ironique, lui clouant aussitôt le bec.

Soucieuse de se cacher des yeux indiscrets, Rain se dirigea l’air de rien vers les galeries d’Agni. Ces lieux étaient peu fréquentés car ils étaient sombres –seuls quelques rares puits de lumières les éclairaient- et peuplés des personnes qui avaient des choses à cacher, ce qui était idéal pour Rain, n’est-ce pas ? Elle se trouva un coin tranquille et, soulevant son bandage pour inspecter les dégâts à la lumière, elle grimaça une nouvelle fois. Puis, retrouvant son sourire amusé, elle songa : « Moi qui cherchait de la nourriture, c’est plutôt moi qui fus croquée…». Secouant la tête, elle allait débuter ses soins quand un bruit la fit sursauter. Quelqu’un la regardait-il ? Elle n’était sûr de rien, mais pour s’en assurer, elle lança un :

— Qui est là ?

Des plus brefs, mais avec cette dose de fausse assurance qui lui permettait de ne pas perdre la face. Au pire, s’il n’y avait pas âme qui vive dans les environs, personne ne l’aurait vu sursauter pour un simple petit bruit. Néanmoins, elle avait nettement l’impression d’entendre le bruit d’une respiration, bien qu’elle soit lente et profonde, et donc quasiment imperceptible. Mais était-ce seulement une impression ?

Les secondes s'égrainèrent lentement. C’est comme si le temps avait décidé de se faire désirer alors que Rain était laissée dans l’attente d’une réponse. Elle se sentait totalement ridicule d’être ainsi prise en défaut, reste d’un des enseignements des laborantins du temps où elle était encore à la métropole. « Une machine ne commet pas d’erreurs, et si elle en commet une, c’est uniquement parce que cela a été décidé ainsi. » C’était assez ironique de penser que l’humain, être si imparfait, croyait avoir créé un être qui avait atteint la perfection. Quelle délicieuse contradiction ! Ainsi l’homme avait créé une entité qui lui était supérieure…

Soudain, tel l’éclair dans le brouillard, il y eut une apparition. Rain crut voir le soleil, étant irradiée par une lumière dans les ténèbres de cette grotte. Lorsqu’elle s’y habitua, elle constata que seuls ses cheveux rapprochaient l’humain de cet astre. Rain fut troublée par son regard bleu dans lequel elle lisait une volonté et une détermination indestructible. Avait-elle, elle aussi, un regard si dur ? Si décidé ? Ou bien la haine et l’amour de l’homme se disputaient dans ses yeux, tels la Lune et le Soleil, destinés à se partager à jamais ses prunelles mécaniques ?

L’homme parla. Si Rain fut étonnée par son ton abrupt, elle n’en montra rien. Elle fut plutôt secouée par ce qu’il avait dit, lancé comme un commentaire comme un autre. Était-il habitué à la compagnie d’hybrides pour être si indifférent ? Ou tout cela n’était-il qu’une façade ? Tout à coup, Rain eut un fin sourire. Avec un humour qu’elle seule pouvait comprendre, elle corrigea de sa voix douce, mais néanmoins ironique :

— Si, je suis humaine.

On ne pouvait nier cette affirmation, car elle ne mentait pas. Certes, elle n’était qu’à moitié humaine, mais de là à dire qu’elle ne l’était pas, il y avait un grand pas ! Rain aimait jouer avec les mots et retourner ceux de ses interlocuteurs contre eux –mêmes. Parler était toujours dangereux, une des raisons pour lesquelles l’hybride épargnait le monde de ses bavardages intempestifs. Heureusement d’ailleurs ! Imaginez un seul instant qu’elle partage toutes ses pensées avec les gens autour d’elle, personne ne survivrait… et encore elle évitait de penser aux suicides collectifs…

Rain ne perdit pas contenance face à la neutralité de l’homme devant elle. Après tout, personne dans ce désert n’était cordial d’emblée avec les inconnus, ou seulement les fous et les inconscients. Mais se sentant légèrement acculée à cause des questions de Soleil (elle décida solennellement que ce serait son surnom à partir de maintenant), elle se rétracta et rétorqua, un peu agressive :

— Questions qui peuvent vous être retournées.

Et bien oui ! Après tout, ne se trouvait-il pas de même dans des lieux sombres et solitaires ? N’était-il pas autant pris en défaut qu’elle ?! Un peu d’équité, que diable ! Elle n’était pas non plus coupable d’un quelconque crime. Se rendant compte de la violence avec laquelle elle lui avait répondu, Rain se tempéra et obligea à adoucir sa voix pour répondre une deuxième fois, et plus sincèrement cette fois-ci :

— Du calme et du silence, voilà ce que je cherche.

Ce n’était même pas une demande pour que l’inconnu s’en aille, c’était juste la vérité. Elle se surprit à sourire de nouveau, sans savoir quel air fou et fiévreux devait habiller son visage. Temps et blessures ne faisaient pas bon ménage. Ah… Mais voilà qu’elle se sentait vaguement défaillir. Elle qui avait été minutieusement assemblée, montée, démontée, puis remontée pour résister au sable, aux vents violents, aux chocs et à certains types de balles, était impuissante face à l’insidieux poison contenu dans les crocs des Ordons. Au moins avait-elle résisté au moins trois ou quatre heures de plus qu’un être humain normal, sans compter la course qu’elle avait faite et qui n’avait fait qu’accélérer la course du poison dans ses veines.

Elle savait que si elle mettait le cataplasme qu’elle avait acheté sur sa blessure, les herbes qui le composaient se distilleraient à travers celle-ci dans son sang et le purifieraient. Mais pour cela, elle devrait retirer son bandage, exposer sa blessure et celui lui était inconcevable. Elle s’appuya lourdement contre le mur et commença à doucement haleter.

— Me voilà… fort déconvenue.

Sans blague… Elle eut de nouveau un sourire. Pour la première fois depuis longtemps, Rain se révéla incapable de réfléchir correctement. Diantre ! Que ce poison agissait rapidement une fois qu’il avait atteint le centre nerveux ! Entre ses dents serrées, la femme-robot demanda à l’homme d’un ton peu agréable :

—Recule, Soleil… Recule, c’est dangereux.

Elle l’avait inconsciemment nommé par son surnom et tutoyé. Rain le mettait en garde, car lorsqu’elle était dans cet état, tous ses circuits ne lui répondaient plus. Sans plus attendre, son instinct de survie lui commanda de se soigner, sans que son instinct de conservation ne se mette en travers de son chemin en lui intimant de la discrétion face à un inconnu. Rain tenta d’ouvrir le petit pot contenant la pommade, mais ses doigts refusaient déjà de lui obéir.

Animée de gestes saccadés, Rain désespérait : si elle n’arrivait même pas à ouvrir le contenant de son médicament, se l’administrer relevait de l’utopie. Qu’allait-elle donc pouvoir faire ? Elle savait qu'elle n'était qu'une machine devenue folle dans ces moments-là, mais elle voulait à tout prix éviter à Soleil d'être blessé...

[No problem Quant à moi je suis désolée pour cette réponse : beaucoup de blabla, mais peu de contenu pour avancer :/ ]

Rain sentait son regard posé sur elle. Épiée, elle avait l’impression d’être une souris séduite par l’envoûtant regard du serpent. Mais était-elle réellement une simple proie ? Non, ce regard approchait plus celui du mathématicien devant un problème insoluble. Cependant Rain pensait que l’homme ne devait pas loin de la solution. Déjà en la voyant il avait déclaré qu’elle n’était pas humaine. Sachant qu’aucun humain « normal » n’était pas capable de faire la différence, qu’il n’était pas un hybride car sinon elle aurait ressenti ses nerfs informatiques –dû à sa capacité de pouvoir se connecter aux machines-, elle en déduisait qu’il devait être doté de capacités surhumaines. Il n’y a pas si longtemps, Rain avait entendu des rumeurs à propos de ces humains qui avaient été transformés par une tempête solaire qui s’était produite plusieurs années avant sa naissance. Elle n’y avait pas cru, criant aux balivernes… jusqu’ici.

Elle ne tressaillit que légèrement à l’énonciation de sa réponse à la dure question qu’elle lui avait lancée. La Métropole… Elle ne put empêcher un éclair de pure haine traverser ses yeux. Leur couleur orange se métamorphosa en de l’ambre rougeoyant, allégorie de la colère. Se maîtrisant, Rain parvint à cacher ses sentiments derrière une prudente impassibilité. Non, elle n’était pas au courant. Il faut dire que cela faisait plusieurs semaines qu’elle n’avait pas été en contact avec Agni, encore moins Agram.

Rain aurait voulu lui répondre qu’elle se fichait totalement de ces faits : elle n’était ni pour une cause, ni pour l’autre, alors pourquoi s’y intéresser ? Mais le petit pincement qu’elle eut au cœur la découragea de proférer ce mensonge. C’était faux… complètement faux ! L’hybride n’arrivait pas à imaginer toute cette richesse de cultures, de personnalités, d’humains… disparaître sous le caprice de la soi-disant toute-puissante Ville. Elle se rendit compte que, malgré le fait qu’elle ne s’y aventurait que rarement, Agni était devenu une espèce de point d’ancrage. Pas au point d’être devenu son logis, mais c’était au moins un endroit où elle savait qu’elle trouverait quelqu’un à qui parler –même si elle n’aime pas vraiment parler- et une main aidante –évitons de dire qu’elle préfère se débrouiller toute seule.

Après lui avoir avoué sa présence en ces lieux, Rain vit soudain la distance entre elle et le garçon raccourcir un peu trop à son goût. Les yeux dans les yeux, elle se sentit fouillée, décortiquée sous ce regard d’un bleu glacier –elle en avait vu un jour dans des archives de la Métropole, dans des dossiers interdits qu’elle avait réussi à pénétrer après quelques minutes de piratages, et les yeux de l’homme lui rappelaient leur froideur glaciale, mais également leur beauté si pure... Consciente d’être examinée, Rain lui retourna un regard inexpressif.

Sa question était une question que Rain se posait souvent également. « Qu’était-elle ? Pourquoi vivait-elle ? » Bien qu’elle gardait un visage de joueur de poker, Rain était un peu blessée par le « quoi ». Oui, un « quoi » et non un « qui ». Elle ne répondit pas, ayant compris avoir affaire à un commentaire, plus qu’à une interrogation. Vaincu par le mur qu’opposaient les prunelles de Rain, Soleil descendit son regard, effleurant son corps robotique et humain d’yeux dépourvus de vulgarité et d’obscénité. Soudain, il recula, les traits inchangés. Résistant à l’envie de lui demander ce qu’il avait conclu, Rain se sentit tomber.

Elle s’écorchait les mains sur ce misérable pot. Frustrée d’être su incapable dans un moment pareil, elle s’apprêtait à user de sa force robotique pour l’ouvrir quand les paroles de l’humain l’atteignirent. Elle serra les dents, s’empêchant d’y faire attention, mais sa remarque, doublée de ses traits et ses yeux vides d’expressions, lui semblait étonnamment malveillante. Ainsi, même le Soleil pouvait lancer de sombres rayons. De plus, elle eut un nouveau sourire, mais plus amer. Ah ! Sil avait su qu’au plus haut de sa forme elle lui casserait un bras sans la moindre difficulté… Quoique… cet humain se révélait de plus en plus surprenant au fil des minutes.

Lorsqu’elle décolla du sol, elle sentit tous ses muscles lui désobéir, alors qu’elle en avait le plus besoin. Plaquée contre le mur, Rain eut un instant le souffle coupé. Pourtant, même quand il approcha, Rain ne pensa pas un seul instant à se débattre ou à crier ; dû à la fatigue, la fièvre ou à la confiance en cet individu, elle n’en savait rien, mais elle ne poussa pas un seul son, trop occupée à regarder cet homme qui avait une telle emprise sur son corps. Elle était tel Icare : transportée par son orgueil d’hybride, elle avait cru pouvoir le blesser dans sa fièvre, mais au contraire maintenant c’était le Soleil qui lui brûlait les ailes et la faisaient tomber, et même dégringoler.

Il lui prit malgré elle le pot de ses mains. Rain crut être obligée à présent de supplier qu’il la libère et lui rende son médicament, mais une fierté dont elle n’avait jamais eu conscience jusqu’ici se manifesta. Elle n’était pas une bête devant s’abaisser à apitoyer son adversaire : si elle devait mourir, mieux valait que ce soit de la main de la nature et non de celle de l’homme. Elle mourrait en sachant que ce n’était que la loi du désert qui voulut l’achever…

Le bruit d’un « plop » l’arracha à son délire. Elle écarquilla les yeux en voyant que Soleil avait ouvert le pot et s’approchait d’elle avec les plantes médicinales flottant et embaumant l’air. Elle se hâta de cacher cette surprise derrière un masqu. Même si s’imposer ce manque d’expressions lui était difficile dans son état, elle s’obligerait, afin de ne pas livrer en plus de son corps, son âme à la merci de Soleil. Il découvrit sa blessure, ce qui arracha un pauvre sourire à l’hybride : ainsi, l’espèce humaine arrivait encore à l’étonner, même après tous ce temps passé à l’observer. Il allait vraiment l’aider. Ce n’était pas que l’idée était inconcevable pour Rain, après tout il arrivait qu’elle aide les humains ou que les hybrides s’entraident lorsqu’ils se croisaient, mais ayant cru durant un petit moment à une quelconque malignité chez Soleil, elle n’avait pas songé que ce n’était pas intentionnel. Une preuve de plus de son manque d’expérience en relationnel…

Elle hocha sèchement de la tête quand il la prévint. Dès le moment où le produit entra en contact avec son organisme hybride, Rain sentit une brûlante coulée de lave parcourir son corps par le biais de ses veines et de ses nerfs. Elle sentit ses muscles se crisper, lutter pour se soustraire à cette torture qu’on leur infligeait. Mais Rain ne poussa pas un seul cri. Ces souffrances n’étaient rien à côté de ce qu’elle avait ressenti à la mort de Floyd. Si elle avait pu se voir à cet instant, elle aurait croisé des pupilles non plus orange, mais proche d’un marron d’une pureté singulière, signe de sombres pensées et tristes souvenirs.

Elle sursauta à peine lorsque Soleil posa sa main sur son abdomen et transmit un courant dans son corps. Elle sentit ses muscles se calmer, faisant diminuer la douleur. S’il ne la faisait pas disparaître, au moins l’humain arrivait-il à alléger les souffrances de Rain. Oui, souffrir faisait partie de son côté humain. Être faible aussi. Sans savoir pourquoi, Rain sentit sa gorge se serrer d’émotion. Elle étouffa un sanglot et répondit aux paisibles paroles de l’homme :

— Ainsi le Soleil sauva Icare…

Avec de nouveau son sourire indéchiffrable. Elle semblait apprécier la plaisanterie, ce qui n’était probablement pas le cas de son beau Soleil. Rain serra de nouveau les dents à l’arrivée d’une nouvelle vague de souffrance. Si elle subissait un véritable tourment, elle ne s’en plaignit pas un seul instant. Très vite, elle eut l’impression que le brouillard qui habitait jusqu’à présent son cerveau se dissipait. Ses pensées se reconnectèrent bien vite et elle retrouva peu à peu ses capacités.

Alors que Soleil finissait les soins, elle réussit à se pencher vers lui. Elle ne savait pas contrer la puissance de son contrôle magnétique, mais elle réussissait à le détourner en partie grâce à l’électricité que lui fournissait Soleil par son ventre. Opposant ces deux forces complémentaires, Rain était parvenue à se décoller du mur. Puis, ne laissant aucun espoir de fuite à l’humain, elle l’embrassa avec une rapidité surhumaine, mais beaucoup de douceur, sur le sommet du crâne. Le gratifiant d’une petite mimique amusée, Rain le laissa terminer sa besogne. Elle n’exprimerait jamais un remerciement à voix haute, ce n’était pas dans ses habitudes. Rain retiendrait cependant l’humain dans son esprit pour rembourser sa dette quand il en aurait besoin.

Soudain, l’information remontant à la surface de ses souvenirs, Rain demanda d’une voix neutre, démentie par son regard brûlant :

— Quand pour Agram et Agni ?

Elle voulait demander par là quand l’attaque avait été prévue. Si elle pouvait faire quelque chose, elle n’hésiterait pas un seul instant. De plus, ce serait l’occasion de pouvoir aider et protéger cet humain qui l’intriguait. Même si elle se doutait qu’il n’avait pas vraiment besoin de son aide.